L’association Skin est née de la cicatrisation psychique et émotionnelle liée à l’histoire de Cécile Reboul qui a traversé l’épreuve du cancer en 2006-2007. Après avoir vécu le parcours du combattant de la maladie, Cécile Reboul a créé cette association qui permet aux femmes, et depuis peu aux hommes, de faire le lien entre la période des soins et la reprise du travail. Elle a choisi l’Art, la création en partage entre malades du cancer et artistes, pour aider à la résilience. Désignée femme de santé 2020 pour son action, elle parle avec un enthousiasme très communicatif de cette rencontre entre l’art et la santé.
L'après-cancer : Cécile Reboul, ou l'art de se reconstruire
Un article de Laurent Joyeux pour m-soigner.com
Le cancer blues après la bataille
J’avais 40 ans au moment du diagnostic et rien ne me rassurait sur l’après. Après une double mastectomie, comment allais-je redevenir une femme ? Pendant le traitement, c’est plutôt la sidération qui dominait, et pourtant cette période a été aussi une révélation. Après le parcours de soins, les choses sont devenues plus compliquées. Tout à coup, j’étais en rémission. Mes jours n’étaient plus rythmés par les soins. Les proches, un peu par déni ou par sentiment d’impuissance, étaient moins présents.
Après la bataille, vient le temps où l’on compte ses blessures. Il y a une phase de deuil incontournable. On culpabilise à l’idée d’être mal dans sa tête alors qu’on est en vie. On perd du temps à se relever alors que le « prendre soin » est essentiel au retour à la maison ! Au bout de deux mois, est venue la dépression : le cancer blues. Entre la fin du parcours de soins et le retour au travail, il faut un temps pour revenir à soi. Deux patients sur trois le disent « l’Après est plus dur à vivre que la maladie ».
La genèse d’une association
Après mon cancer, je voulais partager mon expérience, aider les autres. J’écrivais des billets d’humeur et projetais d’éditer un livre pour rassurer les femmes qui patientent dans les salles d’attente des consultations d’oncologie. J’ai croisé le chemin de la photographe Karine Zibaut et lui ai demandé de me prendre en photo au fil des mois pour accompagner mes textes.
Une co-création a pris forme et s’est révélée un véritable travail thérapeutique pour moi ! Je me suis dit « C’est ce que je vais proposer à des femmes comme moi pour les aider à aller mieux et à se reconnecter à elles-mêmes. » Organiser des rencontres entre des malades et des artistes autour de projets créatifs. Laisser agir le regard bienveillant de l’artiste qui vous regarde autrement… L’association Skin est née en 2012, avec le binôme pour ADN.
Des rencontres humaines, les binômes
En fonction des sensibilités de chacune, nous organisons une rencontre avec un peintre, un sculpteur, un photographe , un chorégraphe... Ensemble, ils vont créer une œuvre. Ils sont libres de créer comme ils l’entendent et se voient tant qu’ils veulent. La patiente se nourrit de l’univers de l’artiste et vice-versa. L’important pour elle est d’être aux manettes de sa guérison, je dis souvent « co-créatrice de sa reconstruction ». Au bout de quelques mois, ces femmes se sont transformées, elles ont retrouvé l’élan vital. Skin restitue leurs créations sous forme d’exposition ou de spectacle, tel que les Skin sketchs. L’entourage peut alors réaliser ce par quoi elles sont passées. La communication renaît à travers ces créations.
Toutes ces performances sont photographiées et présentées à l’hôpital. L’Institut Curie est du reste le partenaire historique de Skin. Les patientes, à toutes les étapes de la maladie peuvent les voir. Lorsque les femmes de l’association y retournent, elles se retrouvent en photo, exposées sur les murs. Peu à peu, une vraie famille s’est formée, qui fait le relais entre celles qui sont guéries et celles qui débutent le parcours de soins. Certaines femmes en traitement chronique sont chez Skin depuis des années. Nous restons en contact généralement les uns avec les autres, bien au-delà de Skin. Ces femmes et ces hommes membres de l’association, ont tous les âges - de 25 à 75 ans environ. Ils n’ont bien sûr pas les mêmes enjeux de carrière, d’enfant ou amoureux selon les âges.
Au bout de deux mois, est venue la dépression : le cancer blues. [...] Il faut un temps pour revenir à soi. Deux patients sur trois le disent « l’après est plus dur à vivre que la maladie ».
Une expérience positive pour tous
Les artistes viennent à Skin bénévolement, souvent sensibilisés au cancer par un proche malade ou pour en avoir vécu un. La très grande majorité des binômes se correspond parfaitement. Si la rencontre n’était pas positive, nous arrêterions tout de suite. C’est arrivé avec une artiste qui n’avait pas compris l’enjeu et se montrait trop exigeante. Ce n’est pas tant le résultat qui compte que le processus créatif, le temps passé et le « faire ensemble ». En général, l’expérience est extrêmement positive et tout le monde progresse ! Je pense à ce binôme entre une patiente et un comédien. Ce dernier a fait la mise en scène du spectacle à la demande de l’association, c’était sa première mise en scène… grâce à cette expérience, il s’est découvert une vocation. Une autre patiente, habitant en Bretagne, a créé et interprété une chorégraphie avec une danseuse pour Skin. Après cette expérience artistique, elles ont continué à la présenter ensemble au cours d’une tournée dans les hôpitaux bretons. Ces histoires d’amitié naissent en toute liberté. Elles sont autant de tuteurs de résilience. Les gens (patients, artistes, partenaires) rejoignent l’association par le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux ou les hôpitaux. Mais nous sommes une petite équipe de permanents, tous passionnés, et nous suivons autant les patients que les artistes. Pour cette raison nous ne suivons pas plus de 25 binômes par an.
Recréer une famille
Depuis trois ans, nous organisons des ateliers collectifs, de bien-être ou sportifs. Des binômes sont également formés avec des sportifs à travers des rallyes de voitures anciennes ou des sauts en parachute. En fonction des coachs ou des artistes, nous proposons des Cafés philo, du théâtre, du chant, du dessin, du co-développement, des ateliers d’écriture, des cours d’effeuillage et beaucoup d’autres activités…. Hors Covid, les membres Skin se rendent tous les mois au théâtre, dans les musées et les expositions.
Ce n’est pas tant le résultat qui compte que le processus créatif,
le temps passé et le « faire ensemble »
Nous ne proposons pas d’aide psychologique, mais nous sommes en phase avec le rapport de l’OMS qui constate que l’art est bon pour la santé physique et mentale. J’ai échangé avec Serban Ionescu, psychiatre, psychologue et professeur émérite de psychopathologie, qui travaille sur la résilience. Je vais publier la médiation Skin au 5e congrès international de la résilience qui va se tenir en mai. Le cancer est une expérience de la solitude : on n’est plus celui d’avant, pas encore celui d’après. On est perdu et on ne doit pas rester seul à broyer du noir : avec Skin, on est plus forts grâce au collectif. Nous recréons une famille, une microsociété et entretenons une vraie fidélité dans le temps.