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Carole Fleuriot
Carole a 26 ans. Elle a découvert son cancer du sein en août 2018. En pensant un matin à sa grand-mère maternelle, décédée d’un cancer du sein foudroyant à l’âge de 42 ans, Carole s’est décidée à faire de l’autopalpation. Elle a alors senti une boule à son sein gauche.
 
Elle a alors réalisé qu’elle ne connaissait pas du tout son corps. Elle ignorait si ce petit renflement était normal ou pas. Elle se décide à consulter sa gynécologue et subit des examens. Verdict : cancer du sein triple négatif avec mutation génétique BRCA1, portée par son père et son grand-père.

Interview Carole Fleuriot

Raconte-nous comment tu as vécu cette traversée du cancer
 
Au début des traitements, je voulais absolument travailler au maximum, mais j’étais épuisée par les chimiothérapies et obligée de m’arrêter à chaque protocole. Je voulais faire comme si de rien n’était. J’étais dans le déni, pressée d’être à la fin de tout ça. J’ai fini par arrêter de travailler, après avoir pris une grande claque quand j’ai appris que mon protocole de chimiothérapie devait être rallongé, deux jours après ma mastectomie. J’ai alors pris conscience de ce qui se passait, de ce que ça allait impacter dans ma vie. Je ne savais plus où j’en étais.
Le cancer a en effet totalement bouleversé ma vie.
 
Quel soutien as-tu reçu pendant ta prise en charge médicale ?
 
Du point de vue de la vie amoureuse, j’étais en couple à l’époque. Le cancer nous a rapprochés, puis on s’est séparés pour d’autres raisons. Aujourd’hui, je n’ai pas encore rencontré quelqu’un de nouveau mais je me sens maintenant prête pour ça. Aujourd’hui, je sais vraiment ce que je veux, car je me suis reconnectée avec mon nouveau moi.
Dans la vie professionnelle - j’étais acheteuse (IT) informatique et digital depuis un an et demi dans un groupe de cosmétiques - j’ai toujours été soutenue par ma hiérarchie et mes collègues (bouquets de fleurs, sms, emails…).
Avec les amis, j’ai été énormément soutenue au départ, puis cela s'est parfois atténué au fil du protocole. On s’est parfois disputés, puis la communication et l’amitié ont repris le dessus. Ça a mis certaines amitiés à rude épreuve. La communication avec les proches est en ce sens fondamentale, c’est le seul moyen pour eux de comprendre et pour nos relations de rester fluides. Aujourd’hui, quand je ne vais pas bien, je le dis et j’explique pourquoi.
Et quand beaucoup de mes proches ont considéré que tout était derrière moi, que tout était fini, j’ai pris une seconde claque, car dans ma tête rien n’était fini et je ne savais pas non plus si j’allais m’en sortir. Je me suis sentie en décalage avec le reste du monde. Je pensais que ça allait passer.
Puis j’ai réalisé que seules les personnes qui ont vécu ma situation pouvaient me comprendre.
 
On dit du cancer qu’il fait partie des maladies chroniques. Comment perçois-tu cela ?
 
Je sais maintenant que le cancer fait partie des maladies chroniques. Je me sens en phase avec ça, car ce n’est pas la fin des traitements qui signe la fin des effets secondaires. J’ai de vraies séquelles physiques et psychologiques :
  • Je ressens des douleurs quotidiennes liées aux opérations (exemple : mon pectoral s’est rétracté et me gène depuis l’opération - et avec la radiothérapie -, d’où de nombreuses séances de kiné pour de très longs mois).
  • Sans compter les examens de contrôle tous les trois mois pendant deux ans, puis tous les six mois tout au long de ma vie. Je dois donc apprendre à vivre avec, mais je ne peux pas tourner la page complètement. Et puis, le fait de savoir que le cancer peut revenir, ça impacte forcément ma vision des choses.
Le cancer est donc chronique.
  • De plus, avec la mutation du gène BRCA1, je sais que je vais me faire retirer les ovaires, c’est donc dans la lignée.
  • Le sommeil est une autre séquelle.
Psychologiquement, ce n’est pas léger. Il n’y a pas de date de fin. Ça va continuer à prendre une place prépondérante dans ma vie et c’est oppressant.
Aujourd’hui, mes journées sont rythmées par le travail et mes rendez-vous médicaux, paramédicaux. Je trouve moins de place pour les petits plaisirs. Avant cette traversée, je pensais que quand c’était fini, c’était fini. Je tombe des nues. On découvre les choses au fur et à mesure. C’est sans cesse une claque et il faut sans cesse se relever.
 
Parviens-tu malgré tout à te considérer comme une ancienne malade ?
 
Aujourd’hui, c’est difficile de donner une réponse claire à cette question parce que techniquement oui, je suis une ancienne malade car je n’ai plus de traitements en cours, mais le fait de savoir qu’il existe un risque de récidive puis le risque d’un éventuel cancer des ovaires, font que j’ai du mal psychologiquement à mettre ça au passé. D’autant que j’ai encore des séquelles psychologiques et physiques des traitements du cancer.
Il va me falloir du temps pour cheminer sur ce sujet. L’étape psychologique et émotionnelle est plus longue.
L’épreuve de la maladie a changé beaucoup de choses dans ma vie.
 
La prise en charge des patients et anciens patients grâce notamment aux soins de support te semble-t-elle essentielle ?          
 
La prise en charge des patients est clairement incontournable, oui. Après le diagnostic du cancer, la prise en charge psychologique et le soutien de ma psychomotricienne ont été pour moi essentiels. Réussir à mettre des mots sur les maux m'a fait un bien fou. Je me suis sentie mieux dans ma peau. Ça m’a aidée à lâcher prise (ce que je n’avais jamais réussi à faire de ma vie) et à vivre l’instant présent. Ça m’a permis de lâcher la peur. Pendant un an et demi.
J’ai des acquis grâce à ça pour me faire du bien. Je continue aujourd’hui les séances de psychothérapie car j’ai moins de temps pour tout mener de front.
 
Tu as repris le travail depuis peu. Comment vis-tu la reprise ?
 
Je pense avoir pris le temps nécessaire pour me reconstruire avant mon retour au travail. J’ai pris le temps aussi de freiner le rythme, de prolonger mon arrêt de travail avant d’y retourner.
J’ai arrêté ma chimio orale mi mars puis j’ai subi une mastectomie prophylactique et une reconstruction le 11 mai 2020. J’ai repris le travail un mois après, le 11 juin.
Je pensais que c’était parfait comme ça, et pourtant, depuis que j’ai repris le travail j’ai du mal à retrouver un équilibre. Je dors très mal.  Je ne m’attendais pas du tout à ça.
J’ai repris le travail il y a quinze jours. Je suis quelqu’un de très stressé de nature et le télétravail me soulage en ce moment. J’ai une confiance en moi très fragile. J’ai eu peur de ne pas retrouver mes capacités d’avant le cancer - Vais-je y arriver ? Malgré la souplesse de mon boss, je me réveille chaque nuit à 4 ou 5 heures du matin. Je suis très étonnée, car je ne m’attendais pas du tout à ça. Même en télétravail. Je continue pourtant à faire des exercices de détente (sophrologierespirationméditation) mais ça ne fonctionne même plus. J’essaye de lire, de regarder des séries. Je me laisse quinze jours et si ça ne va vraiment pas, j’envisage de consulter quelqu’un.
J’ai retrouvé la même fréquence, quasiment le même rythme de travail qu’avant, alors que tellement de choses ont changé au fond. C’est peut-être ça le souci. 
Je travaille en open space, et je me sens mal à l’aise de faire des "petits" horaires de travail, car le regard des autres me gène. C’est difficile de gérer ce qu’on veut au fond, ce qui nous ferait du bien, et au final ce qu’on peut réellement mettre en place avec la reprise du travail.
Maintenant je vais à l’essentiel pour être plus efficace dans un temps imparti alors qu’avant j’étais perfectionniste, je passais des heures sur des choses moins importantes. Aujourd’hui j’en ai moins envie.
 
Comment tournes-tu la page aujourd’hui ? Comment te réinventes-tu ?
 
J’ai réfléchi à ce qui comptait le plus pour moi : mes perspectives d’avenir ont changé. Je réalise aujourd’hui la chance que j’ai de me lever le matin. Chaque journée apporte son lot de moments sympas. J’en ai pris conscience. L’être humain est facilement insatisfait. J’ai réalisé la chance que j’ai. La santé, l’amour des miens et oser dépasser mes limites, tenter ma chance, car on n’a qu’une vie, il faut savoir s’éclater, la savourer.
Depuis un an, j’ai découvert plein d’activités - avec Skin, l’activité artistique mais aussi par ailleurs le surf, les cours de plongée, la confection de bijoux, et bientôt, j’aimerais essayer le parapente. ça me fait du bien d’oser et de dépasser mes limites.
Cette prise de conscience est arrivée pendant et après les traitements.
Pour tourner la page,  ce qui m’a beaucoup aidée, c’est d’abord le temps que j’ai pu prendre pour moi depuis avril 2019. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de faire des activités pour moi. J’ai commencé à écrire des articles qui relataient mon expérience et qui listaient mes petits conseils et astuces. Puis j'ai décidé de les publier sur un blog et sur les réseaux sociaux pour aider les autres. Le nom est The Putsch Girls (https://theputschgirls.fr). J’ai alors découvert une immense communauté. Ce fut une très belle surprise avec énormément d’échanges en un an. Ça m’a vraiment beaucoup aidée. Ça a été une vraie thérapie de mettre des mots sur ce que j’ai vécu et d’échanger avec d’autres sur des expériences similaires, leur vécu, leurs perceptions, leurs sensations. J’ai pu libérer mes émotions dès ce moment-là. Pour commencer à tourner cette page.
 
Quelle est ta définition de la résilience ?
 
Pour moi, la résilience existe lorsque l’on parvient à surmonter l’état de choc et de profonde détresse induit par un traumatisme. Cela passe par retrouver un équilibre, psychologique comme physique; ainsi que retrouver des repères au quotidien, pour avoir une vie qui colle au nouveau soi. 
 
Et celle de la créativité ;-)
 
Pour moi, la créativité c’est ouvrir ses bras pour laisser place à la flânerie, à la rêverie, au lâcher-prise et à l’instant présent. C’est s’exprimer, en mettant de côté tout jugement, et produire une belle œuvre. 
Interview Carole Fleuriot